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06 juillet 2017

Recherche en enseignement et professionnalisation


1. On ne peut professionnaliser la fonction enseignante sans mobiliser la recherche
La sociologie des professions nous apprend que la question du savoir est un élément fondamental dans toute profession.  En effet, il ne peut y avoir de profession sans un corpus de savoirs formalisés.  Elle nous enseigne également que le processus de professionnalisation comporte une dimension politique au sens où un groupe ne peut se décréter lui-même professionnel, il doit plutôt le faire admettre par la société dans laquelle il s'insère.
Ces éléments, savoir et pouvoir, sont donc comme les deux aspects d'une même réalité au sens où, premièrement, il n'y a pas de profession sans un corpus de savoirs formalisés et où, deuxièmement, il n'y a pas de profession sans un combat politique portant sur la reconnaissance de ces savoirs par le public. 
En enseignement cela passe d'abord par l'identification des savoirs nécessaires pour enseigner.  Il convient à cet égard de préciser que, même si le corps professoral au cégep est déjà professionnalisé dans sa discipline dans la mesure où chaque professeur a reçu une formation universitaire spécialisée dans un champ du savoir spécifique, ce n'est pas à cet aspect de la professionnalisation que nous nous attarderons.  Notre angle d'analyse porte sur une autre dimension: nous parlerons ici de la professionnalisation de la fonction enseignante du professeur de cégep.  C'est la particularité proprement pédagogique du travail de l'enseignant que nous aborderons et qui a fait l'objet de recherches fort intéressantes ces dernières années.  Ces recherches ont rendu possible la mise au jour de savoirs pédagogiques permettant d'améliorer la compétence en enseignement.  Mais cela n'est pas suffisant.  La professionnalisation passe aussi par la reconnaissance par autrui de la qualité et la pertinence de ces savoirs.  Il y a là une exigence politique au regard de ces savoirs. Par exemple, le récent avis du Conseil supérieur de l'éducation pose directement le problème dans cette direction: «Autant dans l'intérêt des enseignantes et des enseignants que dans celui des élèves, une formation initiale des maîtres s'impose aussi à l'ordre collégial» (p. 58).  Et au sujet du contenu de cette formation «le Conseil pense que des compétences faisant appel à ses savoirs d'ordres psychopédagogiques et didactique devraient figurer au premier plan  du programme de formation des maîtres.» (p. 58). On ne peut que se réjouir d'une telle prise de position en faveur des savoirs pédagogiques mais il est clair que le débat est loin d'être gagné tant certaines idées reçues perdurent.

2. Certaines idées reçues dé-professionnalisent.
Sans nous étendre inutilement sur un thème dont nous avons déjà discuté auparavant (Gauthier et al., 1995), il convient de rappeler brièvement l'effet pervers de certains clichés sur la pédagogie.  En effet, il existe dans le monde de l'enseignement plusieurs idées qui ont la «couenne dure».   Par exemple, qui n'a pas déjà entendu (ou déjà pensé et déclaré) que pour enseigner, la connaissance de la matière suffit, ou encore qu'enseigner est une question de talent (que certains ont et d'autres pas), ou bien que c'est d'abord une affaire de gros bon sens, de jugement, ou même que ce peut être surtout un travail intuitif lié essentiellement à la sensibilité affective; d'autres pensent également que tout repose sur la Culture (avec un grand C) de l'enseignant, ou que c'est un métier qui en fin de compte s'apprend sur le tas, par l'expérience quotidienne?  On le sait, ces énoncés contiennent tous une certaine part de vérité, mais ils jouent chacun à leur manière et de façon insidieuse un rôle totalitaire, réductionniste et méprisant envers la pédagogie (Gauthier, Martineau, Simard, 1995).  Ces idées reçues gomment la réflexion et la recherche sur la pédagogie.  Elles laissent croire qu'il n'y a pas de savoirs, d'habiletés ou d'attitudes pédagogiques propres à l'enseignement et qu'il ne sert à rien de formaliser ces savoirs pédagogiques et de les intégrer dans une formation.  En un mot, ces idées reçues dé-professionnalisent au sens où elles empêchent la recherche pédagogique d'émerger.

3. La prégnance de ces idées reçues s'explique entre autres par la relative jeunesse de la recherche en enseignement.
Si ces idées sont encore bien ancrées dans notre inconscient collectif, la raison tient sans doute au fait que la recherche pédagogique est somme toute plutôt récente et qu'elle a commencé a donner ses premiers fruits «comestibles» il y a à peine moins de 30 ans. Examinons brièvement le chemin parcouru en recherche pédagogique afin de mieux saisir les transformations qui ont marqué ce champ d'investigation.  Il est possible, grosso modo, d'identifier cinq périodes importantes.
3.1. D'abord, l'approche des traits de personnalité a été très populaire durant la première moitié du XXe siècle. Celle-ci consistait principalement, comme son nom l'indique, à tenter d'identifier des qualités propres à l'enseignant (l'enthousiasme, le sens de l'humour, la patience, etc).  Pour ce faire, les chercheurs ont demandé aux élèves de nommer les qualités d'un professeur qui les avait marqués; plus tard, dans d'autres recherches, on a demandé aux enseignants de faire la liste des attributs d'un bon enseignant; puis on voulut savoir la même chose des administrateurs des commissions scolaires, des professeurs des institutions de formation des maîtres (Medley, 1979; 1972).  Dans tous ces cas l'idée était la même, soit d'identifier un certain nombre d'attributs caractérisant un bon enseignant.  Même si l'intention était louable, les résultats de ces recherches ont été cependant moins probants.  Il n'y avait en effet pas beaucoup de différence entre les qualités énoncées et les attributs habituellement dévolus à toute personne d'agréable compagnie! 
3.2. Étant donné que l'approche des traits de personnalité n'a pas donné de résultats intéressants, les chercheurs ont procédé autrement et tenté, après la Deuxième Guerre, d'évaluer l'efficacité de diverses méthodes d'enseignement (Medley et Mitzel, 1963; Morsh et Wilder, 1954; Gilly, 1980).  Là encore, malgré l'intérêt de cette tentative, les résultats ne furent pas véritablement concluants.  La raison tient, semble-t-il, au fait que les chercheurs se contentaient de mettre en relation la méthode X avec la performance des élèves dans les classes sans prendre la peine d'examiner comment chaque enseignant utilisait véritablement cette méthode.  Or on sait que les enseignants dans leurs classes appliquent différemment une méthode donnée et ces différences peuvent parfois être importantes.  Pour obtenir des résultats pertinents, il aurait donc fallu observer dans les classes comment chacun des enseignants utilisait réellement les méthodes au lieu de prendre pour acquis qu'ils en faisaient un usage identique.  Cette approche fut abandonnée.
3.3. Au milieu des années cinquante et durant les années soixante on mit en place des systèmes d'observations de l'enseignement dans les classes.  Il s'agissait alors de noter au moyen de grilles d'analyse la fréquence de tel comportement ou de telle intervention verbale de l'enseignant.  Pour la première fois depuis son émergence au début du siècle, la recherche sur l'enseignement s'appuyait désormais sur l'observation de ce qui se passait dans la classe.  Cependant, ce type de recherche ne donna pas non plus des résultats véritablement utilisables dans la pratique.  La raison tient à ce qu'il ne sert pas à grand chose de connaître la fréquence de l'occurence de tel ou tel comportement si on ne met pas ce résultat en relation avec la performance des élèves.  Il faudra perfectionner davantage cette approche mais, avec les observations en classe, un pas important était franchi.
Intermède. Cependant, il faut savoir que la recherche sur l'enseignement n'occupait pas la plus grande place des recherches en éducation durant les années soixante.  Elle se cantonnait plutôt à la portion congrue.  Les recherches sur les classes sociales, sur l'apprentissage et sur le curriulum occupaient le plus grand de l'espace.  Le rapport Coleman (1966) et les études de Bourdieu et Passeron (1970) sur l'influence déterminante du milieu social sur la performance des élèves ont joué à ce moment-là un rôle prépondérant.  De même, sous l'influence de chercheurs aussi différents que Piaget et Skinner, une quantité impressionnante de recherches, d'orientation principalement psychologique, ont porté sur les mécanismes d'apprentissage de l'élève.  Par ailleurs, pendant ce temps, les États-Unis ont procédé à d'importantes réformes des curriculum des écoles qui ont eu un écho important au Québec.  Il faut rappeler que la période des années soixante correspond, ailleurs comme ici, à un épisode d'intenses transformations de nos systèmes scolaires.  Les facultés des sciences de l'éducation ont été créées à la fin des années soixante de même que le réseau des universités du Québec dont une des missions principales était la formation des maîtres.  Une des raisons justifiant ce passage des écoles normales aux universités était l'objectif de donner une formation plus scientifique aux futurs enseignants.  Or, on peut douter aujourd'hui de la qualité de la formation à l'enseignement qui a pu se donner puisqu'il n'y avait pas encore (ou si peu) de recherches portant spécifiquement sur l'enseignement.  Les facultés des sciences de l'éducation naissantes ont produit des recherches sur bien des sujets en éducation mais fort peu sur l'enseignement.  Le corpus de recherches empiriques sur l'enseignement était pratiquement inexistant.  Rosenshine à cet effet mentionnait que: «Des 1000 communications présentées lors de la réunion de l'American Educational Research Association de 1971, pas plus de 15, selon des critères des plus généreux, peuvent être qualifiés de recherches sur la façon dont les enseignants peuvent produire une différence dans l'apprentissage des élèves.  Cela signifie qu'il y a au plus 15 études centrées sur la façon dont les vrais enseignants changent les choses et ce, d'après n'importe quel critère de progrès de l'élève.  Au cours des sept années de publication de l'American Educational Research Journal (donc de 1964 à 1971) pas plus de 10 études, parmi toutes celles parues, correspondent à ces critères.» (1971, p. 68[1]).  Pour les enseignants, les recherches produites par les facultés des sciences de l'éducation étaient décontextualisées et n'avaient pratiquement aucun lien avec le métier qu'ils exerçaient.  On ne sera donc pas surpris de constater, par un curieux renversement, que même si les professeurs des facultés des sciences de l'éducation ont réalisé des recherches, celles-ci ont joué un rôle dé-professionnalisant au sens où elles n'étaient pas pertinentes pour la pratique et contribuaient ainsi à maintenir en force les idées reçues dont nous avons parlé plus haut.
3.4. Au début des années soixante-dix, plusieurs chercheurs (Rosenshine et Furst, 1973; Dunkin et Biddle, 1974) ont commencé à remettre en question les conclusions du rapport Coleman (1966) concernant la prépondérance du milieu social pour expliquer la performance des élèves.  Ils ont posé la question suivante: l'enseignant fait-il une différence pour favoriser l'apprentissage des élèves? Autrement dit, y a-t-il un effet enseignant? Cette préoccupation a été au coeur d'un mouvement de recherches sur l'enseignement appelées «recherches processus-produit».  Pour répondre à cette question, il fallait désormais conduire les recherches dans les classes et observer les comportement des enseignants.  Il fallait également mettre en relation les comportements des enseignants (processus) avec la performance des élèves à des épreuves standardisées (produit).  Ce type de recherches processus-produit a été très populaire durant les années soixante-dix.  Cependant, en raison d'une approche du travail enseignant jugée trop mécanique et superficielle, les recherches processus-produit subirent peu à peu les critiques et virent leur suprématie contestée par d'autres approches inspirées de l'ethnométhodologie ou encore des sciences cognitives qui rencontrent actuellement la faveur d'un nombre croissant de chercheurs.
3.5.  En 1983, un petit ouvrage polémique paru aux États-Unis et intitulé A Nation at Risk aura une influence profonde par la suite.  Ce manifeste accuse le système d'éducation d'être responsable des problèmes économiques que vit la nation américaine.  Il conduira à la publication de plusieurs rapports dont celui, fameux, du groupe Holmes (1986) à partir duquel l'idée de professionnalisation de l'enseignement et de recherche en enseignement fera son chemin.  Pour les membres du groupe Holmes la professionnalisation de l'enseignement passe, entre autres, par la détermination d'une base de connaissances pour enseigner.  Selon eux, l'état actuel de la recherche en enseignement permettrait d'affirmer l'existence d'une telle base de connaissances.  Plus encore, il faudrait, soutenir la recherche en ce sens et de concert avec les milieux d'enseignement.
Treize années plus tard, le mouvement de professionnalisation de l'enseignement semble s'être consolidé.  Les recherches conduites dans les classes sont actuellement plus nombreuses encore qu'auparavant.  Des synthèses sur les résultats de recherches commencent à être publiées (Gauthier et al, 1997).  Même si la nature d'une base de connaissances est encore problématique, il n'en demeure pas moins qu'on n'a plus dorénavant raison de soutenir que la recherche en éducation n'a pas de rapport avec la pratique, qu'elle ne peut pas informer l'enseignant.  Si en un temps, désormais révolu mais pas si lointain, la recherche fut dé-professionnalisante au sens où elle était sans lien avec les conditions d'exercice réel du métier, celle d'aujourd'hui, importante en quantité et en qualité, porte sur l'enseignement et est conduite avec des enseignants dans les classes.  Elle produit des résultats qui formalisent divers aspects du travail de l'enseignant. 
Compte tenu de ce qui précède, on comprendra qu'il devient de plus en plus difficile de brandir de nouveau les idées reçues évoquées plus haut pour se conforter dans des pratiques qu'on ne veut pas changer tout en ignorant le fait qu'il existe désormais des résultats de recherches qui permettent de soutenir la pratique enseignante.

4. La recherche en enseignement peut avoir un effet professionnalisant à certaines conditions.
4.1. Conditions par rapport à la nature de la recherche elle-même.
Toutes les recherches ne contribuent pas à la professionnalisation. On l'a vu plus haut lors de l'analyse de l'évolution des recherches en enseignement.  Durant les années soixante notamment, un grand nombre de recherches ont été produites en éducation qui ne mettaient pas nécessairement l'enseignant et son contexte de travail au coeur des préoccupations mais portaient sur toutes sortes de variables périphériques.  Recherches sur l'apprentissage en laboratoire, recherches sur le curriculum, recherches sur l'impact des classes sociales sur l'école. Ces recherches ont leur importance, là n'est pas la question.  Il s'agit plutôt de savoir quel type de recherche contribue à professionnaliser le métier.  Sur ce point précis, il nous semble qu'il faille passer de recherches réalisées en dehors de la classe à des recherches portant sur ce qui se fait dans la classe, qui analysent l'enseignant dans son contexte réel de travail, avec ses contraintes de temps, d'espace, de budget, de groupes nombreux, de programmes chargés, etc.  Ces recherches n'étudient pas l'apprentissage de l'étudiant in abstracto mais examinent plutôt les effets de la pratique de l'enseignant sur l'apprentissage et l'éducation des étudiants.
4.2. Conditions par rapport à la dimension «épistémologico-politique» de la recherche.
Il nous semble impératif que la pratique enseignante s'ouvre au dehors et sorte du secret qui l'a toujours caractérisée.  D'aucuns affirmeront que l'enseignement est une pratique publique au sens où les étudiants observent constamment les moindres gestes du professeur.  Là n'est pourtant pas la question.  Au contraire, la pratique enseignante, de la maternelle à l'université est une pratique qui se déroule loin du regard des collègues et autres observateurs, derrière les portes closes de la classe.  Il faut donc passer d'une pratique privée à une pratique publique. Il faut voir et être vu. C'est une exigence à la fois scientifique et politique. Scientifique dans la mesure où on ne peut isoler des savoirs pédagogiques si on ne voit pas ce qui se passe dans la classe, si on ne compare pas des pratiques enseignantes entre elles.  Politique au sens où on ne peut faire reconnaître aux autres la solidité de ces savoirs si on ne rend pas compte de la manière de les produire.  Il ne s'agit pas d'affirmer naïvement l'existence d'une base de connaissances pour enseigner, il faut également la démontrer.  Cela implique l'analyse des présupposés et méthodes de recherche qui les ont produites et la mise en examen des résultats afin de les valider.  On ne peut donc faire de la recherche sans voir et on ne peut professionnaliser sans être vu.
4.3.  Conditions par rapport aux liens que la recherche entretient avec la profession et la formation.
L'argumentaire du groupe Holmes (1986) est construit de manière à relier trois composantes: la compétence professionnelle, la recherche et la formation des enseignants. Pour les auteurs de ce rapport, l'éducation des jeunes s'améliorera si les enseignants deviennent plus compétents; ces derniers le deviendront si leur action prend appui sur une base de recherche; les résultats de ces recherches doivent pouvoir être appris dans le cadre d'une formation. Par conséquent, les lieux d'enseignement, de recherche et de formation doivent être mis en relation. C'est pourquoi on parle tant depuis une douzaine d'années de partenariat et de collaboration dans la pratique professionnelle, la production de recherches sur l'enseignement et la formation aux savoirs.
4.4. Conditions par rapport à la manière d'utiliser les résultats de la recherche. 
Produire des recherches est une chose, utiliser les résultats en est une autre.  Il est souvent tentant de vouloir appliquer «mur à mur» les résultats de recherches en pensant régler de manière totale les problèmes.  C'est le fantasme entretenu par ceux animés d'une vision scientiste radicale.  La classe, on le sait, est un lieu complexe où co-existent plusieurs dimensions en tension.  L'enseignant doit prendre constamment des décisions mais il n'existe pas de méta-critères lui permettant de décider en toute quiétude le cours de son action.  Par exemple, doit-il à tel moment enseigner pour le groupe où s'occuper de celui qui est en retard; arrêter son exposé pour gérer un cas d'indiscipline ou faire comme si de rien n'était? 
Au  dogmatisme scientiste nous préférons toutefois une utilisation «prudente» des résultats de recherche. La recherche en enseignement est encore jeune, les résultats largement parcellaires et les conclusions bien fragiles.  On peut donc difficilement prescrire tous azimuts avec si peu.  À cet effet, on ne peut qu'être étonné de voir appliquer au Québec l'approche par compétence dans tous les cégeps. On peut se demander quelle est la base empirique de recherche qui soutient l'approche par compétence. À partir de quelles recherches cette approche a-t-elle été validée? Quelles sont, d'après la littérature, les limites de cette approche? Ces questions ne sont pas pour mettre en question l'approche par compétence; au contraire, nous croyons que c'est une bonne idée.  Cependant, comme on n'a pas encore trouvé la recette miracle en éducation, il peut arriver parfois, souvent même, qu'on puisse avoir raison de résister quand on perçoit les limites d'un discours qui semble avoir des prétentions de vérité.
Pour nous, l'impact de la recherche est beaucoup plus modeste quoique non négligeable.  La recherche informe l'enseignant, elle nourrit son jugement, elle le soutient dans sa prise de décision, elle l'aide à diagnostiquer une situation et à inventorier des solutions.  Le rôle de la recherche en enseignement est davantage consultatif que prescriptif.
4.5. Conditions par rapport à la manière de concevoir la responsabilité professionnelle.
D'aucuns soutiennent que l'enseignant devrait être responsable des performances des élèves.  Nous soutenons un point de vue différent.  Le médecin ne peut être tenu responsable de la mort de ses patients s'il a mis en branle tous les moyens nécessaires pour les garder en vie.  De même l'avocat ne peut être tenu responsable d'avoir perdu une cause s'il a mis en oeuvre tous les moyens à sa portée.  Nous pensons pareillement que l'enseignant est responsable d'abord des moyens utilisés et non a priori des résultats des étudiants. Il doit donc pouvoir faire la preuve qu'il a utilisé les meilleurs moyens à sa portée pour instruire et éduquer les étudiants.  En ce sens, sa pratique professionnelle devrait donc être soutenue par la recherche (pas seulement disciplinaire mais aussi pédagogique). 
4.6. Conditions par rapport à la formation des enseignants.
La formation pédagogique est une composante essentielle du processus de professionnalisation. Idéalement elle s'appuie sur une base de connaissances produites par la recherche.  Cependant, même à supposer que l'on réussisse à isoler une base de connaissances pédagogiques pour enseigner, cela ne règle pas pour autant le problème de la formation au métier (Raymond et Lenoir, 1998). Plusieurs recherches montrent en effet l'importance de travailler au préalable sur les représentations du métier avant de proposer l'apprentissage de nouvelles connaissances ou habiletés car les enseignants ont naturellement tendance à reproduire les façons de faire qu'ils ont vu tout au cours de leur histoire scolaire.  Ces représentations du métier sont robustes et résistent longuement à tout changement.  Cela n'est pas étonnant quand on sait que chacun de nous dans son histoire scolaire a été exposé durant environ 13000 heures à un enseignement dont le profil est habituellement plutôt traditionnel. Aucune autre profession n'offre pareil conditionnement.  Quel individu aurait dans sa prime jeunesse passé autant d'heures dans un hôpital à côtoyer un médecin? À la recherche en enseignement nécessaire à la professionnalisation se greffe donc aussi la recherche sur la formation et le perfectionnement des enseignants.  Cette question devient tout particulièrement primordiale au cégep où la formation pédagogique des enseignants n'est pas encore obligatoire.

Pour finir...
Comme nous venons de le voir, recherche et professionnalisation vont de pair.  Illustrons pour terminer, à partir de quelques figures typiques du maître comment, dans l'évolution de la pédagogie, la recherche se lie (ou ne se lie pas) au métier. 
Il y a d'abord eu le maître «naturel», avant le XVIIe siècle (Gauthier et Tardif, 1996). Ce dernier n'a pas conscience de lui-même. Pour lui, son savoir enseigner se réduit au contenu à transmettre dans un rapport pédagogique de «un à un».  Il reçoit à tour de rôle chacun des élèves pour leur inculquer un contenu culturel donné. Comme il sait lire, il peut, sans aucun autre artifice, montrer à lire; seule la logique de la matière préside évidemment à son enseignement. 
Au maître naturel succède le maître comme artisan.  Toute la période qui s'étend du XVIIe au XXe siècle va voir apparaître et se consolider ce nouveau rapport au métier. Ce maître a reçu une formation pédagogique qu'il a apprise par imitation notamment auprès des communautés religieuses enseignantes.  Le savoir pédagogique est du type recette et formalisé à partir des usages et de l'expérience. On assiste alors non seulement à la naissance de la pédagogie mais aussi au début de la mise en place d'une tradition pédagogique qui prendra par la suite une connotation très péjorative avec l'appellation «pédagogie traditionnelle».
Tout le XXe siècle a été une tentative pour renverser la pédagogie traditionnelle (Gauthier, Tardif, 1996).  Un nouveau discours domine les débats, celui de la pédagogie nouvelle centrée sur les besoins de l'élève.  Diverses tendances la traversent. 
Le maître est vu d'abord comme un scientifique et la pédagogie comme une application de la psychologie.  On voit chez certains auteurs le désir de faire de l'enseignant un spécialiste des lois de l'apprentissage.  Les recherches portent sur le développement de l'enfant et sur l'apprentissage.  La pédagogie prend une couleur expérimentale et technocratique.
Mais le maître de la pédagogie nouvelle est vu parfois aussi comme animateur-thérapeute. Alimenté cette fois par la psychologie clinique, il se met à l'écoute des besoins de l'enfant.  La pédagogie se centre sur l'intérêt de l'enfant et se conjugue au temps du socio-affectif.  La recherche de Soi prévaut et la pédagogie devient expérientielle et vécucentriste.
Une nouvelle figure du maître semble en émergence à l'aube du nouveau millénaire.  Il s'agit de la naissance de l'enseignant comme professionnel.  Enserré dans une situation complexe, une classe avec 30 étudiant à instruire et à éduquer, il doit constamment prendre une multitude de décisions.  Pour ce faire, il peut prendre appui sur certains résultats de la recherche pédagogique qui l'informent et nourrissent son jugement.  En tant qu'acteur rationnel il est capable de justifier publiquement ses choix en s'appuyant sur autre chose que le sens commun.  La recherche pédagogique aura permis la naissance et soutiendra la reconnaissance de cette nouvelle figure du maître.

Bibliographie
Bourdieu, P. Passeron, J.-C. (1970). La reproduction. Paris: Minuit.
Coleman, J.S. et al. (1966).  Equality of Educational Opportunity.  Washington, D.C.: U.S. Governemnt Printing Office. 
Conseil supérieur de l'éducation (1997). Enseigner au collégial: une pratique professionnelle en renouvellement. Avis à la ministre de l'Éducation.  Québec: Gouvernement du Québec.
Dunkin, M.J., Biddle, B.J. (1974). The Study of Teaching. New York : Holt Rinehart and Winston.
Gauthier, C., Desbiens, J.-F., Malo, A., Martineau, S. Simard, D. (1997).  Pour une théorie de la pédagogie.  Recherches contemporaines sur le savoir des enseignants.  Sainte-Foy: Presses de l'Université Laval. 
Gauthier, C., Tardif, M. (1996). (Sous la direction de).  La pédagogie.  Théories et pratiques de l'Antiquité à nos jours.  Montréal: Gaëtan Morin.
Gauthier, C., Desbiens, J.-F., Malo, A., Martineau, S. Simard, D. (1995). «La réforme de l'enseignement collégial et la professionnalisation de l'enseignement.»  Actes du colloque de l'AQPC, section 8D50, pp. 1-10, Montréal: Association québécoise de pédagogie collégiale. 
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Medley, D. M., Mitzel, H. E. (1963). Measuring Classroom Behavior by Systematic ObservationHandbook of Research on Teaching(Sous la direction de N.L. Gage).  Chicago : Rand McNally.
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Raymond, D., Lenoir, Y. (1998). «Enseignants de métier et formation initiale.  Une problématique divergente et complexe.».  Dans Enseignants de métier et formation initiale.  Des changements dans les rapports de formation à l'enseignement.  Raymond, D. et Lenoir, Y. (Sous la direction de). Bruxelles: De Boeck.  
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Rosenshine, B. (1971). «New directions for research on Teaching»  How Teachers Make a Difference. Washington, D.C.:  U.S. Department of Health, Education and Welfare. 





[1]Notre traduction

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