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18 avril 2024

Un vieux fantasme en éducation

Depuis longtemps, un vieux fantasme poursuit les sciences de l'éducation : trouver LA méthode pédagogique infaillible.

Ce projet était présent chez les pédagogues du XVII siècle et resurgit périodiquement. 

Aujourd'hui, il loge dans l'adhésion tous azimuts aux données probantes. 

Si ces dernières sont utiles pour identifier les pratiques pédagogiques qui sembleraient avoir le plus d'effet sur l'apprentissage des élèves, y adhérer comme à un dogme religieux paraît pour le moins suspect - surtout venant de gens qui se réclament exclusivement de la (bonne) science. 

Assurément, les recherches expérimentales - celles qui comparent les pratiques en classe - sont souvent solides et leurs résultats pertinents. Elles peuvent en cela inspirer et guider les acteurs. On ne peut donc que souhaiter leur diffusion.

Le danger réside ailleurs. 

Il réside dans la tentation de s'y référer exclusivement en faisant fi de la nature du travail enseignant, une occupation professionnelle qui « s'exerce sur et avec l'humain » et dont les actions se prêtent plutôt mal à une standardisation. Le travail enseignant, comme le souligne Tardif et Lessard (1999), est non seulement complexe mais il est situé; un enseignant spécifique, des élèves spécifiques, une classe spécifique, une école spécifique, une culture d'établissement spécifique. Est-ce à dire qu'aucune généralisation de données ne peut se faire, certes non. Cependant, la prudence est toujours de mise. Avant de proposer une standardisation des pratiques, il faut se demander quel effet cela pourrait avoir au-delà des questions d'apprentissage des élèves (sans compter qu'il faut se demander quelle culture de l'apprentissage on va ainsi mettre en place); par exemple, cela peut-il nuire à la motivation des enseignants ? à la reconnaissance de leur expertise ?  est-ce certain que les recherches expérimentales faites dans d'autres pays, dans d'autres cultures et d'autres systèmes d'éducation peuvent s'appliquer dans son propre contexte éducatif ? Etc... Par ailleurs, il ne faut jamais oublier que les concepts comme excellence, réussite, efficacité ne sont pas des « objets » qui existent au même titre que le soleil ou la lune. 

Comme le disait naguère Develay (2001), les sciences de l'éducation sont nécessairement au prise avec le vrai, le juste et le faisable. Le vrai n'est pas nécessaire juste, le juste n'est pas nécessairement faisable, etc.

Références :

Develay, M. (2001). Propos sur les sciences de l’éducation. Réflexions épistémologiques. Paris : ESF. 

Tardif, M., Lessard, C. (1999). Le travail enseignant au quotidien. Contribution à l'étude du travail dans les métiers et les professions d'interactions humaines. Québec : Les Presses de l'Université Laval. 

17 avril 2024

Réponse à l'ouvrage : LES DONNÉES PROBANTES EN ÉDUCATION ET LA FORMATION À L’ENSEIGNEMENT

Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Jean-Marie van Der Maren, ont publié un ouvrage intitulé LES DONNÉES PROBANTES EN ÉDUCATION ET LA FORMATION À L’ENSEIGNEMENT :

Gauthier, C., Bissonnette, S. et Van der Maren, J.-M. (2024). Les données probantes en éducation et la formation à l’enseignement . Lévis : Éditions Les pendules à l'heure.

À la demande de l'un des auteurs, j'ai lu et commenté leur production. Ci-après, on trouvera quelques-unes de mes remarques (lesquelles ont été envoyées à l'auteur qui m'avait sollicité). Il est à noter que ma réponse a été modifiée (ma réponse étant un courriel personnel, je ne me souciais pas de la forme).

Il faut le dire, l'ouvrage est bien fait et « pédagogique » au meilleur sens du terme. Mais cela n'empêche pas qu'il est problématique à bien des égards.

Sur le fond, je suis plutôt d’accord sur le fait que toutes les recherches ne peuvent produire aussi bien des données permettant d’identifier ce qui est efficace. Certaines recherches n'ont d'ailleurs pas cette visée, ce qui ne les empêche aucunement d'être pertinentes pour la compréhension des phénomènes éducatifs. Mais, je résiste fortement à l'idée soutenue ici que les seules recherches de type expérimentales et les seules méta-analyses (et méga-analyses) peuvent produire du savoir pertinent pour la pratique enseignante. De multiples recherches de terrain ont largement démontré qu'elles pouvaient produire des résultats utiles aux praticiens. Bien entendu, ces recherches ne s'inscrivent pas dans la visée « d'universalité » des recherches de type expérimental ou quantitatif. Elles prennent plutôt en compte les savoirs des acteurs et leurs résultats se veulent contextualisés. Aussi, je ne peux suivre les auteurs lorsqu'ils assimilent toute recherche de type qualitatif à des recherches descriptives.  Il y a là méprise (ou mauvaise foi).

Je résiste également à certains postulats (qui sont en fait des non-dits) véhiculer par les auteurs :

  • La rationalité ne loge que dans la science.
  • La science, c'est ce qui se calcule.
  • La vérité est démontrée lorsque « ça marche ».
  • Seule la posture empiriste est pertinente en science.
  • La science peut trouver des solutions à tous les problèmes.
  • La science n'a pas à se préoccuper de l'usage que l'on fait des savoirs qu'elle produit.

Avant son adoption par le parlement du Québec, le projet de loi 23 a donné lieu à de multiples commentaires dans les médias de la part de ceux qui le soutenaient et ceux qui s'y opposaient.

L'ouvrage critique la posture des opposants à la mise en place d'un Institut d'excellence en éducation au Québec, projet inclus dans la loi 23. La description des principales idées opposées à cette loi et à la création de l'Institut me semble trop schématique et en cela plutôt caricaturale. En fait, sans le dire explicitement, l'ouvrage présente les opposants à la loi 23 comme des personnes qui s'opposent à «l'excellence» pour des raisons plus ou moins inavouables ou par bêtise. Il passe sous silence le fait que ces opposants rejetaient en fait une loi qui augmente de manière injustifiée le pouvoir discrétionnaire du ministre de l'Éducation en centralisant de nombreux pouvoirs entre ses mains. De multiples recherches en gestion ont pourtant montré l’inefficacité et les effets délétères de la centralisation des pouvoirs. 

Il faut aussi souligner que les auteurs assimilent les opposants à la loi 23 à des chercheurs qui rejètent les données probantes, ce qui est une fausseté. L'opposition à la création d’un Institut d'excellence en éducation était, je le précise, basée sur la conviction de plusieurs que cette instance ne pourra agir en toute indépendance du politique (sans compter que la manière dont le projet a été mis de l'avant conforte bien des gens dans cette idée). Les opposants à la création de l'Institut jugeaient aussi que cet instance allait probablement véhiculer une vision plutôt restrictive de l'excellence, de la réussite scolaire et de la « bonne recherche ». Les propos tenus dans ce livre me conforte en ce sens. Par ailleurs, la position récente du ministre de l'éducation quant à la possible mise en place d’un palmarès des écoles ne peut qu'augmenter la crainte des opposants à la loi. Sans compter que le gouvernement en place actuellement au Québec renforce «la politisation de la recherche» comme le montre la fusion des organismes de subvention à la recherche et leur rattachement à un ministère de nature économique. Pour ce gouvernement, la recherche doit être enrôlée dans la poursuite de buts d'abord économiques.

Là où je suis également sceptique, c’est sur la position que prennent les auteurs quant à la neutralité axiologique de la recherche. Pour eux, la recherche se contente simplement d’identifier les meilleurs moyens pour atteindre des fins socialement déterminées. Il y a là une posture disons assez traditionnelle qui fait du chercheur - et des savoirs savants - des entités hors de la société. Or, la production de savoirs par la recherche fait partie de la praxis sociale et donc de la détermination même des fins. Ainsi, on pourrait même imaginer (et cela arrive souvent) que la détermination de certaines fins puisse se faire sur la base de ce que la recherche permet d’identifier comme moyen. La coupure nette entre fins et moyens n’est, on le comprend aisément, pas vraiment possible. Sans compter qu’historiquement, dans l’organisation du travail, les moyens tendent à devenir une fin en eux-mêmes (je pense au taylorisme, au new management, à la doctrine de la gestion axée sur les résultats). 

Certains chercheurs - et les auteurs ici en font partie - postulent qu'il y a une coupure radicale entre savoirs savants et l'éthique et la politique. La science disent-ils ne doit pas se préoccuper des valeurs et des finalités, celles-ci étant décidées en dehors de la science. Comme on vient de le dire, la science, pour eux, n'a qu'à déterminer les meilleurs moyens pour atteindre les fins jugées pertinentes. C'est une telle posture qui a pu conduire des scientifiques à collaborer avec les pires régimes politiques. « Moi je produis du savoir, si les autres en font un mauvais usage ce n'est pas mon problème ». Croire que dans son travail scientifique (surtout si celui-ci a des incidences sur la vie des gens) il est possible de se passer de réflexions sur l'usage des savoirs que l'on produit et sur les conséquences que ceux-ci peuvent avoir c'est adopter une position naïve et potentiellement dangereuse.

Au moment de la réforme des programmes au Québec, au début des années 2000, le paradigme du socioconstructivisme a été mis de l'avant en formation initiale et en formation continue. Les auteurs fustigent ce paradigme qu'ils semblent rendre responsable de tous les maux de l'éducation. En fait, à l’instar du courant des pédagogies nouvelles (au début du 20e siècle) qui avaient créé un épouvantail en la personne de la pédagogie traditionnelle (catégorie créée de toute pièce), les auteurs pensent que le socioconstructivisme est partout et fait des ravages. Cependant, les preuves des supposés effets délétères de ce paradigme se font toujours attendre. Si ce paradigme ruine tant l'enseignement au Québec, on peut se demander pourquoi les élèves du Québec performent si bien au test international PISA. Sans compter que l’idée des supposés effets pervers du socioconstructivisme repose sur la croyance que ce dernier a bel et bien été implanté et utilisé mur à mur dans les écoles québécoises. Rien n’est moins sûr! On attend donc toujours que les auteurs, si férus de méta-analyses, produisent les données probantes qui soutiennent leur position.

Le livre donne aussi à penser qu’on ne forme pas les enseignants à l’enseignement explicite au Québec (type d'enseignement identifié selon eux comme le plus performant selon les méta-analyses). Or, l'enseignement explicite est bel et bien enseigné et utilisé en formation des enseignants. Les auteurs veulent-ils se faire passer pour de preux chevaliers, porteurs de la bonne parole que les hordes de méchants socioconstructivistes ignorent en raison de leur aveuglement idéologique, de leur incompétence et de leur posture corporatiste ?

Enfin, sur un autre plan, je tends à penser, et le livre me conforte dans cette pensée, que la centration sur les questions d’efficacité produit l’effet pervers de passer sous silence les conditions d’exercice de la profession. L’Institut pourrait ainsi avoir pour effet de créer l’illusion que les problèmes éducatifs seront réglés par la pédagogie (sans compter que sa création donne aussi à penser que la pédagogie telle qu’enseignée en formation initiale et celle mise en place par les enseignants en exercice fait problème: ce qui n’a aucunement été démontré). Les recherches tendent plutôt à montrer que les problèmes de notre système d'éducation ne sont pas d’ordre pédagogique: décrochage des profs, système à 2 voire 3 vitesses, composition des classes, manque de spécialistes (orthopédagogues, psycho-éducateurs, orthophonistes, techniciens en éducation spécialisée, techniciens en travail social, etc.), bureaucratisation des tâches, sous-financement, etc. Au final, la loi 23 passe à côté de l’essentiel et c’est pourquoi un très grand nombre d'acteurs de l'éducation la trouve néfaste.

Fausses croyances par rapport à la science

La rationalité ne loge que dans la science.

La science, c'est ce qui se calcule.

La vérité est démontrée lorsque « ça marche ».

Seule la posture empiriste est pertinente en science.

La science peut trouver des solutions à tous les problèmes.

La science n'a pas à se préoccuper de l'usage que l'on fait des savoirs qu'elle produit.

Naïveté scientifique

Certains chercheurs, encore aujourd'hui, postulent qu'il y a une coupure radicale entre savoirs savants et l'éthique et la politique. Pour eux, la science ne doit pas se préoccuper des valeurs et des finalités, celles-ci étant décidées en dehors de la science. La science n'a qu'à déterminer les meilleurs moyens pour atteindre les fins jugées pertinentes. C'est une telle posture qui a pu conduire des scientifiques à collaborer avec les pires régimes politiques. « Moi je produis du savoir, si les autres en font un mauvais usage ce n'est pas mon problème ». Croire que dans son travail scientifique (surtout si celui-ci a des incidences sur la vie des gens) il est possible de se passer de réflexions sur l'usage des savoirs que l'on produit et sur les conséquences que ceux-ci peuvent avoir c'est adopter une position naïve et potentiellement dangereuse.